Cités d’islam : texte d’introduction
À présent, pendant que j’écris, je vois par la fenêtre le jardin des Tuileries qui s’étend jusqu’à la place de la Concorde. Une lumière d’automne fait jouer les branches tordues des arbres du jardin, complices des deux bassins vides, dont les cercles paraissent abstraits, tracés au compas, du manège arrêté des chevaux de bois, de la Seine qui ne se voit pas d’ici mais se devine et donne la vie au paysage, des joueurs de boule et des enfants qui courent derrière un gros chien, et surtout des toits, nombreux, qui se succèdent, en ardoise grise et se perdent dans le bleu horizon. Ce paysage, juste le même, a été peint trois fois par les impressionnistes. L’un est à New York, l’autre à Zurich et le troisième au Marmottan, à Paris. Sisley, Pissarro, Monet, se bousculent à la fenêtre, bésiclards ou ventripotents mais tous en chapeau de paille d’Italie ou en Panama, encore faméliques et déjà entrés dans la gloire. Manet avait peint cette même vue des Tuileries, dans sa jeunesse, et réuni dans le même concert, à la même promenade, Baudelaire, Zola et d’autres amis encore. Vue historique, classique, surchargée de mémoire et de culture, mais vue en même temps de tous les jours. La création rejoint la flânerie quotidienne. À l’étage du dessus, Cartier-Bresson va sortir prendre des images figées dans l’instantané, donc éternelles tout en restant éphémères. Il recharge son vieux Leica rafistolé, familier, instrument de toujours, ou instrument du toujours…
Car le temps n’est ni une durée ni un enchaînement mécanique de moments successifs… Chaque seconde reflète le miracle de la création dans toute sa spontanéité.