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Cette communication sur « la sexualité et les religions » vient clore le premier cycle de conférences à l’université holistique en 1984. Le sujet et son référencement en « méthode de réalisation » peut surprendre. Nadjm Bammate aimait dire qu’ici l ego s’efface quand le « je » devient « nous ».

Extrait de la conférence

Ce thème m’a été proposé, je l’ai accepté immédiatement et très volontiers parce qu’il est très intérieur aux autres sujets abordés ici. On en parle beaucoup, en général très mal, et je vais aussi en parler beaucoup et sans doute très mal. Ce qui va peut-être vous étonner, c’est que je vais commencer par la danse du ventre, ensuite on continuera par la colonne vertébrale, ce qui est peut-être plus attendu.

La danse du ventre n’est pas ce que l’on croit. En général ce que l’on voit de la danse du ventre est une forme « sous dégradée » très en dessous de ce que l’on imagine, que ce soit en Orient ou en Occident où l’on voit de malheureuses danseuses se trémousser. Or, il m’est aussi arrivé de voir des séances de danse du ventre consacrées à de hauts personnages et ce n’était pas cela non plus, parce que le but principal de la femme était de séduire l’homme par ses trémoussements et c’était aussi le but de l’homme que d’être émoustillé par ces trémoussements. Il y a cependant une danse du ventre dont j’ai gardé le souvenir et qui n’a rien à voir avec le classicisme sexuel de la danse du ventre. Au temps où j’étais étudiant au Caire, il y avait une arménienne rousse qui laissait pendre sa longue chevelure devant elle et qui dansait derrière, c’est-à-dire qu’on ne voyait que les cheveux du début à la fin, et je crois que là, nous sommes déjà engagés dans notre sujet d’aujourd’hui.

En réalité la danse du ventre n’est pas une danse de séduction ou plutôt c’est à la fois une danse de séduction et une danse cosmique. Il y a trois gestes qui en fait correspondent à la grande triade : il y a le geste de l’invocation à la terre, le geste des mains levées vers le ciel, et le geste intermédiaire, qui est le plus fréquent, du cou et des épaules, les bras étendus. Ces trois mouvements, ces trois gestes sont exactement les trois traits qui font le yang, qui font l’empereur en Chine ou qui font l’homme. Ce sont également les trois traits qui font l’homme chez les 9 Bambaras du Mali, ou Damatales, Bandiangara et vous vous rappelez sans doute ces danseurs avec de grands cimiers, les bras étendus. La danse du ventre, avec ses trois mouvements de bras indiquant trois états de l’être, touche à la fois à la séduction et à la cosmologie. Elle touche à la fois au plus privé, au plus intérieur, au plus subjectif aussi de nous-mêmes puisqu’au point de départ il s’agit de séduire, c’est quand même une danse de séduction, mais ce que l’on sait moins c’est que la danse du ventre est une danse cosmique. Les mouvements abdominaux et les mouvements pelviens sont en spirale et ordonnés autour de l’axe que constitue la colonne vertébrale. Donc, chose très inattendue, la danse du ventre est, dans son essence, une danse sacrée. Et je pense immédiatement à une autre danse, celle des temples dravidiens du sud de l’Inde où existait il y a peu de temps encore l’institution de la devadâsî, prostituée sacrée, qui faisait cette danse très hautement codifiée connue sous le nom de Bharatanâtya.